LE REMPLAÇANT

Texte de présentation :

Le remplaçant - premier texte de présentation.
« Quand un vicomte rencontre un autre vicomte, qu'est-ce qu'y s'racontent? Des histoires de vicomtes » dit la chanson. La littérature clame l'inverse. Elle voudrait qu'aux vicomtes, on raconte des histoires de marins, aux mineurs des histoires de sages-femmes, aux fermières des histoires de ministres. L'éternelle question du sujet, celle à laquelle l'auteur cherche toujours à échapper, n'en finit pas de se poser.
Alors comment faire quand ce fameux sujet appartient au domaine de l'indicible?
Dans Le remplaçant, j'écris l'histoire de mon grand-père, qui ne devrait donc intéresser que mes proches. Je fais néanmoins le pari que quelque chose, dans son histoire mérite d'être entendu par un cercle plus large. Mon grand-père est un survivant de la Shoah. Né juif en 1911 dans une bourgade de Moldavie, il aurait dû, comme la plupart de ses voisins, de ses amis, de ses frères, être assassiné dans un camp d'extermination. Il a échappé à la catastrophe.
Mais peut-être devrais commencer par expliquer que mon grand-père, celui sur lequel j'écris, n'est pas le père de ma mère. C'est un grand-père de remplacement, l'homme avec qui ma grand-mère, la vraie, a choisi de vivre après la guerre, alors que son mari avait disparu à Auschwitz.
Ainsi le récit s'infléchit-il dès le commencement. Pour parler de la Shoah, je choisis un personnage qui ne l'a pas subie. D'ailleurs cette expression, « parler de la Shoah » sonne creux et faux.
Comment en parler, comment l'écrire? Le voilà le sujet impossible car ceux qui l'ont vécue en sont morts et ne sont donc plus là pour en parler ou pour en écouter le récit. Que deviennent les histoires de vicomtes une fois qu'on leur a coupé la tête?
Je plaisante et c'est exprès, car c'est un des seuls moyens que j'aie trouvé pour aborder les rivages les plus morbides. L'humour permet d'effectuer le détour nécessaire.
On a tendance à surestimer la faculté de compréhension, à penser que ce n'est qu'une question d'intelligence, mais, bien souvent c'est le surplus ou l'absence d'affect chez le lecteur qui détermine l'intelligibilité d'un texte.

Editions L'Olivier 2009